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Au Mali, quelques studios photos se sont établis à partir des années 40 à Bamako et dans quelques grandes villes comme Ségou. Chaque photographe, avec ses particularités propres, a participé à donner une image de la société malienne des années autour des indépendances.

« Seydou Keïta […] [se lance dans le métier à partir de 1949 et] voit défiler chez lui toute la société des notables de l’époque jusqu’en 1962, date à laquelle il entre dans l’administration malienne et devient photographe à la Sûreté. Dans "La Nouvelle Bamako" (Bamako Coura), quartier très animé à l’époque, le studio de Seydou Keïta reçoit, pendant près de quinze années, les Bamakois bien apprêtés pour l’occasion. La photographie ne touche encore que ceux bénéficiant d’un certain statut social, aisés ou voulant le paraître. Pour aider le client, l’instant d’un déclic, à se mettre dans la peau du héros, le photographe fournit les accessoires, vêtements et mobilier, adéquats à toutes les situations : “au studio, j’avais trois différents costumes européens, avec cravate, chemise, chaussures, chapeau... tout. Et aussi des accessoires : stylos, fleurs en plastique, poste de radio, téléphone que je mettais à la disposition des clients”. Le guéridon et la nappe font aussi partie des accessoires proposés. Hormis le fond, un simple tissu, uni ou à motif, tendu contre le mur en banco de la maison de Seydou Keïta, l’utilisation d’accessoires rappelle fort le cérémonial de l’atelier du photographe européen au XXe siècle. Les portraits de S. Keïta constituent une mine d’informations sur l’évolution de la société malienne en route vers les "indépendances". Les signes extérieurs de richesse, de position sociale, sont visibles dans la plupart des portraits. » (Erika Nimis, Introduction à la photographie malienne, Les Cahiers de la Fondation, Editions Fondation Zinsou, 2008)

Malick Sidibé ouvre son studio en 1962 dans le quartier très vivant de Bagadadji à Bamako, il fit également des reportages dans les surprises-parties. De son travail dans le studio, il dit : « Je suis portraitiste. Je peux dire que je suis "le griot  de mes portraits". Qu’est-ce que cela veut dire "être le griot de ses portraits" ? Les personnes qui viennent au studio, je les arrange. Je flatte mes sujets. Je cache leurs défauts dans mes prises de vues grâce au choix des éclairages. C’est-à-dire que je leur donne des positions qui conviennent mieux et je cache leurs défauts. […] Dans le studio, les gens venaient avec des montres, des habits très chers, ils voulaient montrer qu’ils avaient eu cela. Il y avait même des gens, quand ils venaient au studio, ils prenaient la cigarette, même s’ils ne fumaient pas, pour faire semblant de fumer... […] Je travaille dans la gaieté pour pouvoir faire briller les esprits dans mes portraits ! […] Le studio était le lieu où chacun pouvait se faire voir, mesurer ses capacités dans la mode, l’habillement, les bijoux, ou les chaussures aussi ! Le studio était là pour ça ! Des personnes venaient même se faire photographier avec leur moto. » (Malick Sidibé Entretiens, Archives du présent, Editions Fondation Zinsou, 2017)

Adama Kouyaté ouvre son premier studio, le « Photo Hall Kati », à 15 kilomètres de Bamako dans la ville de Kati, en 1949. De 1964 à 1968, il installe d’autres studios photo tour à tour à Ouagadougou et à Bouaké (en Côte d’Ivoire). Après le coup d’Etat militaire au Mali, Adama Kouyaté repart s’installer dans son pays natal. Il apprend qu’aucun studio n’est implanté dans la ville de Ségou, il décide donc d’y installer le sien qu’il baptise le « Photo Hall d’Union ». « Adama Kouyaté prend volontiers des libertés par rapport aux règles convenues de la photographie de studio. Au lieu d’avoir trois lampes pour une grande lumière, il se contente de deux lampes latérales et supprime la lampe d’ambiance. Il crée ainsi un effet photographique rare dans les images de studio. Il met en avant les ombres des sujets et des accessoires. Il explore les désirs et les envies d’élégance du sujet photographié. Même si ce dernier n’est pas fumeur, il lui met une cigarette entre les doigts pour lui donner un air mondain. Parfois une veste négligemment jetée sur l’épaule suffit pour métamorphoser les villageois en un fonctionnaire de la ville. Il organise et esthétise les poses, crée une connivence passagère pour rendre la magie possible. Plus le photographe ose se libérer des canons "esthétiques" établis par ses confrères, plus il crée une image surprenante de son sujet. La liberté prise dans l’intimité du studio dédouble le photographe : il est à la fois spectateur et acteur. » (Amadou Kouyaté, Studios d’Afrique, Editions Gang, 2010) 

 

Dans beaucoup d’autres pays africains, la photographie de studio bat son plein à cette époque.

Les photographies en noir et blanc de Jean Depara dressent un portrait de la société et de la vie nocturne zaïroise dans les années autour de l’indépendance. Jean Depara travaille comme cordonnier avant de réaliser ses premières photographies noir et blanc en 1950 à l’aide d’un appareil Adox acheté lors de son mariage. Il exerce différents métiers avant d’ouvrir en 1956 son propre studio, le « Jean Whisky Depara », à Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa). La journée, il réalise des portraits et le soir, il se fait le chroniqueur, par le biais de ses images, de l’atmosphère tumultueuse et fébrile de la nuit zaïroise dans les années autour de l’indépendance. Il fréquente les bars, les fêtes et les boîtes de nuit de Kinshasa. Il devient en 1954 le photographe officiel de Franco, maître de la rumba zaïroise. Ses photographies retracent l’engouement des jeunes Africains pour l’« american way of life » - les femmes posent sur des voitures américaines, les hommes s’habillent en cow-boy – mais aussi les rivalités vestimentaires des sapeurs de la jeunesse congolaise.

 

Le photographe Samuel Fosso travaille en République Centrafricaine dans les années 70. Samuel Fosso, né au Cameroun, vit d’abord au Nigeria. Membre de l’ethnie Ibo, pris dans l’enfer de la guerre du Biafra, il rejoint son frère à Bangui en République Centrafricaine. Il y apprend, à dix ans, le métier de cordonnier puis devient apprenti dans le studio d'un photographe. Les Indépendances africaines se sont accompagnées d’un énorme engouement pour la photographie, notamment avec l’ouverture de studios sur tout le continent africain, où se précipitait la jeunesse.
 Samuel Fosso ouvre son premier studio le 14 septembre 1975, il est alors âgé de 13 ans. Sur le comptoir la clientèle peut voir inscrit "Vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître". […] Très vite, dès 14 ans, il comprend que "la photographie de studio", qui l’a profondément influencé, est un espace restreint. Il se détache alors radicalement des pratiques des studios-décors et refaçonne son studio. Après les heures d’ouverture, son studio se transforme en un espace d’autodérision, d’idéalisation et de théâtralisation. Il utilise les chutes de pellicules utilisées pour ses clients, pour se mettre en scène dans des poses et des rôles fantaisistes, avec des vêtements à la mode des "sapeurs" du Congo, et envoie ses clichés à sa famille.

Sanlé Sory débute très jeune dans le domaine, photographiant des accidents de la route pour la police. Puis, en 1968, il crée le studio "Volta Photo". Il a été témoin des années qui ont suivi l’indépendance de la Haute Volta (actuel Burkina Faso) et acteur de l’âge d’or des studios (1965-1980) pendant lequel il a réalisé des milliers d’images en noir et blanc. Et à l’instar des photographes de la nouvelle génération, il est passé à la couleur dans les années 1980, sans abandonner ses décors peints sur toile qui ont fait sa renommée. « Il fait peindre des décors en Côte d’Ivoire, achète quelques accessoires que l’on retrouve régulièrement sur ses clichés (guitare, transistor, téléphone, pistolet…). On se bouscule pour s’y faire tirer le portrait. Cent francs CFA la vue. Sory Sanlé pratique une photographie accessible, artistique et documentaire à la fois. […] Chevauchant sa mobylette, Sory Sanlé parcourt Bobo et les villages avoisinants. Il transporte son studio, se rend dans les dancings et traduit les aspirations d’une société enfin libérée du joug colonial. » (Source : Jeune Afrique)

 

Ces photographes de studio qui ont pratiqué dans les années 50-80, ont certainement participé à nourrir de jeunes photographes tels qu’Omar Victor Diop ou Léonce Raphaël Agbodjelou.

Le béninois Léonce Raphaël Agbodjelou, avec sa série "Musclemen", met en exergue le métier de culturiste au Bénin, il dispose des fonds colorés et des fleurs dans les mains de ses modèles, manière de créer un contraste évident. 

Le photographe sénégalais Omar Victor Diop nous dit à propos de sa série "Le Studio des Vanités" : « Voici les nouveaux visages des cultures urbaines du continent. Ils sont noirs, arabes, blancs, qu’importe. Ils sont créatifs et ambitieux, mais surtout, ils travaillent à faire de leurs visions une réalité. Je dresse le portrait d’une génération qui œuvre à positionner l’urbain africain en tant que creuset de la création contemporaine, lieu d’échanges et de production. Il s’agit ici d’aller au delà de l’exercice purement représentatif qui veut que chaque portrait soit l’"immortalisation" d’un sourire niaisement endimanché. La démarche est collaborative, en ce sens que le sujet et moi-même assemblons des indices vestimentaires et décoratifs porteurs d’affirmations identitaires, de translations sociales, de "sartorial statements". » 

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