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« L’hybridité est au cœur de la société contemporaine. Elle en est même la dynamique principale. L’hybride pourtant est le résultat du croisement de deux éléments de nature différente. L’art contemporain se fait l’écho de cette hybridation à l’œuvre dans un monde qui se complexifie de jour en jour. Le monde contemporain est la grande fabrique à fantasmes, l’univers de tous les possibles. Et les artistes sont les démiurges de ce monde nouveau. […] 

Bodo aborde "l’animalité humaine" que chaque individu posséderait en son for intérieur. Son tableau Sape [« Société des ambianceurs et personnes élégantes » en référence au mouvement congolais] met en scène un couple d’êtres à bec d’oiseau se promenant en amoureux dans les rues d’une ville aux allures ultramodernes. […] Aucune agressivité ne semble se dégager des deux créatures, pas plus qu’on ne note une quelconque peur de la part des humains qui se promènent et semblent plutôt surpris par l’allure de ces créatures géantes qui donnent l’impression de parader.

 

Par contre, le masque de Lassissi Dossou, La femme aux deux visages, laisse augurer d’un personnage à la personnalité trouble et ambivalente à l’instar d’un docteur Jekyll et Mister Hyde. […] Le Guélédé est une société secrète principalement originaire de la région de Kétou (Bénin). La pratique du Guélédé aurait pour fonction d’apaiser la colère des mères et d’honorer la mère primordiale dans le but de ramener l’harmonie sociale. Le Guélédé exprime aussi à un autre degré la mauvaise conscience de l’homme vis-à-vis de la femme. Selon les croyances yoruba, les femmes jouiraient d’un pouvoir ambivalent qui ne serait ni positif ni négatif mais qui peut le devenir par le choix des détenteurs, en l’occurrence toutes les femmes du pays yoruba. Ce pouvoir c’est l’"ase", l’énergie vitale contenue en chaque être. L’"ase" pourrait devenir exceptionnelle chez certaines femmes et serait capable de menacer l’harmonie sociale. Elles deviendraient ainsi des sorcières dont les actes mettent en danger l’équilibre social, les institutions traditionnelles. Canaliser le terrible pouvoir des "mères" est la fonction primordiale du Guélédé. Le masque de Lassissi Dossou représenterait ainsi le pouvoir ambivalent des femmes, et la face aviaire du masque ferait sans doute référence à l’aspect négatif de ce pouvoir. Certains oiseaux sont considérés en effet dans plusieurs sociétés africaines comme l’une des métamorphoses qu’affectionneraient les sorcières, notamment pour leurs déplacements nocturnes. A certains égards, l’oiseau symbolise le savoir et le pouvoir, surtout celui de la psyché. C’est certainement ce que représente Kifouli Dossou à travers le penseur figuré au sommet de la superstructure du masque Epa. La figure est entourée de personnages hybrides et de deux squelettes qui semblent la protéger, tandis que sur sa tête est perché un oiseau. […]

 

[Il y a] dans le panthéon vodun, des créatures supranaturelles telles que Mami Wata qui incarnent le croisement de trois mondes : animal, humain et spirituel. C’est certainement cette triplicité que Tokoudagba aborde dans sa peinture de Mamiwata, génie de la mer, à travers son personnage tricéphale lequel tient un serpent par chaque extrémité tout en ayant un pied posé sur le corps du reptile. D’autres représentations de la déesse des mers en font une sirène au corps de femme et à queue de poisson en lieu et place des pieds. […]

 

Si Soly Cissé et Dominique Zinkpè s’intéressent au zoomorphisme, c’est aussi pour mettre en relief nos travers, qui n’ont rien selon eux d’humains. La relation entre l’homme et l’animal qu’ils essaient de souligner a quelque chose de mystérieux et d’inquiétant. […]

L’animalité en nous subsiste toujours et est une réalité dont nous ne pouvons nous débarrasser. Nous sommes en quelque sorte un lieu de conflit : entre notre part humaine et notre part animale qui ne désespère pas de prendre un jour le dessus. L’un est l’envers de l’autre. Un duo toxique en quelque sorte comme le signale Norman Catherine dans son tableau Toxic duet."

(La fabrique à fantasmes de Didier Houénoudé, Regard sur la collection du musée d’Ouidah, Editions Fondation Zinsou, 2015)

La vie, l’énergie des rues d’Abidjan, mais aussi les tumultes de la guerre civile en Côte d’Ivoire, animent les personnages aux allures de squelettes du peintre Aboudia, tandis que l’artiste sénégalaise Awa Seyni Camara métamorphose la figure de la maternité. 

George Lilanga, d’origine tanzanienne, propose quant à lui de plonger dans l’univers de  la culture Makondé, avec l’effervescente population d’être mi-humains, mi-imaginaires, appelés "shetani". Grâce à ses toiles très colorées, il met en relation l’imaginaire animiste et la réalité contemporaine de la société Makondé. 

 

Le béninois Ishola Akpo, lui, propose une série de photographies intitulée "Ahwando" dans laquelle il métamorphose son propre corps, sur le site archéologique d’Agongointo à Bohicon au Bénin, en se connectant à l’histoire de ses ancêtres nigérians. 

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